Prata em Simondon (2005 [1958])
Il est nécessaire de définir avec plus de précision ce que l’on peut entendre par quantité d’information et par forme. Deux sens très différents sont présentés par la théorie de la Forme et par la théorie de l’Information. La théorie de la Forme définit les bonnes formes par la prégnance et par la simplicité: la bonne forme, celle qui a le pouvoir de s’imposer, l’emporte sur des formes ayant moins de cohérence, de netteté, de prégnance. Le cercle, le carré, sont ainsi de bonnes formes. Par contre, la théorie de l’Information répond à un ensemble de problèmes techniques qui sont contemporains de l’usage des courants faibles dans la transmission des signaux et dans l’usage des différents modes d’enregistrement des signaux sonores et lumineux. Lorsqu’on enregistre une scène par la photographie, le film, le magnétophone ou le magnétoscope, on doit décomposer la situation globale en un ensemble d’éléments qui sont enregistrés par une modification imposée à un très grand nombre d’individus physiques ordonnés selon une organisation spatiale, temporelle, ou mixte, c’est-à-dire spatio-temporelle. Comme exemple d’organisation spatiale, on peut prendre la photographie : une surface photographique, dans sa partie active, support des signaux, est constituée par une émulsion contenant une multitude de grains d’argent, primitivement sous forme de combinaison chimique. L’image optique étant projetée sur cette émulsion, si l’on suppose parfait le système optique, on obtient une transformation chimique plus ou moins accentuée de la combinaison chimique constituant l’émulsion; mais la capacité qu’a cette émulsion d’enregistrer de petits détails dépend de la finesse des particules: la traduction en réalité chimique, au sein de l’émulsion, d’une ligne optique continue est constituée par une traînée discontinue de grains sensibles; plus ces grains sont gros et rares, plus il est difficile de fixer un petit détail avec une fidélité suffisante. Examinée au microscope, une émulsion qui, si elle était à structure continue, devrait révéler de nouveaux détails, ne montre qu’un brouillard informe de grains discontinus. Ce qu’on nomme le degré de définition ou le pouvoir de résolution d’une émulsion peut donc être mesuré par le nombre de détails distincts susceptibles d’être enregistrés sur une surface déterminée; par exemple, sur une émulsion de type courant, un millimètre carré peut contenir cinq mille détails distincts. (Simondon 2005 [1958]:234)
Les valeurs impliquées dans la relation de l’individu à la machine ont donné lieu à beaucoup de confusions parce que le récent développement des machines et de leur utilisation par les communautés a modifié le rapport de l’individu à la communauté: cette relation, qui était jadis directe, passe maintenant par la machine, et le machinisme est lié dans une certaine mesure au communautarisme ; la notion de travail n’est plus directement une valeur communautaire, parce que le passage de l’effort humain à travers une organisation mécanique affecte le travail d’un coefficient relatif à ce travail : le rendement; une morale du rendement est en train de se constituer, qui sera une morale communautaire d’une nouvelle espèce. L’effort individuel n’est pas intrinsèquement valable: il faut en plus qu’il soit rendu efficace par une certaine grâce extrinsèque, qui se concrétise dans la formule du rendement. Cette notion a un certain pouvoir invasif, et se déploie largement au delà des opérations commerciales ou même industrielles; elle affecte tout système éducatif, tout effort et tout travail. Une certaine résurgence communautaire du pragmatisme confère à l’éthique un nouveau type d’hétéronomie dissimulée sous les espèces d’un désir de rationalité ou de préoccupations concrètes. Quand un idée ou un acte sont rejetés parce qu’ils sont jugés inefficaces et de faible rendement, c’est en réalité parce qu’ils représentent une initiative individuelle créatrice, et que la communauté s’insurge avec un permanent instinct misonéiste contre tout ce qui est singulier. Le misonéisme vise le nouveau, mais surtout dans ce qu’il présente de singulier, donc d’individuel. Le nouveau, collectif, a droit de cité sous la forme de la mode; il se trouve même éminemment valorisé par la communauté. C’est le nouveau individuel qui est poursuivi et expulsé comme privé de rendement. Le critère de rendement est empreint de subjectivité collective et manifeste la grâce que la communauté accorde ou refuse à la création individuelle. Ce n’est pas parce qu’une civilisation aime l’argent qu’elle s’attache au rendement, mais parce qu’elle est d’abord civilisation du rendement qu’elle devient civilisation de l’argent lorsque certaines circonstances font de ce mode d’échange le critère concret du rendement. (Simondon 2005 [1958]:352-3)
SIMONDON, Gilbert. 2005 [1958]. L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information. Grenoble: Éditions Jérôme Millon.