Prata em Durkheim (2002[1893])

Mais il faut se garder d’étendre à tout le régime corporatif ce qui a pu être vrai de certaines corporations et pendant un temps très court de leur développement. Bien loin qu’il soit atteint d’une sorte d’infirmité morale de par sa constitution même, c’est surtout un rôle moral qu’il a joué pendant la majeure partie de son histoire. C’est ce qui est particulièrement évident des corporations romaines. “Les corporations d’artisans”, dit Waltzing, “étaient loin d’avoir chez les Romains un caractère professionnel aussi prononcé qu’au moyen âge : on ne rencontre chez elles ni réglementation sur les méthodes, ni apprentissage imposé, ni monopole; leur but n’était pas non plus de réunir les fonds nécessaires pour exploiter une industrie [Nota de rodapé 2: Op. cit., I, 194].” Sans doute, l’association leur donnait plus de forces pour sauvegarder au besoin leurs intérêts [19] communs. Mais ce n’était là qu’un des contrecoups utiles que produisait l’institution; ce n’en était pas la raison d’être, la fonction principale. Avant tout, la corporation était un collège religieux. Chacune d’elles avait son dieu particulier dont le culte, quand elle en avait les moyens, se célébrait dans un temple spécial. De même que chaque famille avait son Lar familiaris, chaque cité son Genius publicus, chaque collège avait son dieu tutélaire, Genius collegii. Naturellement, ce culte professionnel n’allait pas sans fêtes que l’on célébrait en commun par des sacrifices et des banquets. Toutes sortes de circonstances servaient, d’ailleurs, d’occasion à de joyeuses assemblées ; de plus, des distributions de vivres ou d’argent [dinheiro] avaient souvent lieu aux frais de la communauté. On s’est demandé si la corporation avait une caisse de secours, si elle assistait régulièrement ceux de ses membres qui se trouvaient dans le besoin, et les avis sur ce point se sont partagés [Nota de rodapé 1: Le plus grand nombre des historiens estime que certains collèges tout au moins étaient des sociétés de secours mutuels]. Mais ce qui enlève à la discussion une partie de son intérêt et de sa portée, c’est que ces banquets communs, plus ou moins périodiques, et les distributions qui les accompagnaient souvent tenaient lieu de secours et faisaient l’office d’une assistance indirecte. De toute manière, les malheureux savaient qu’ils pouvaient compter sur cette subvention dissimulée. Comme corollaire de ce caractère religieux, le collège d’artisans était, en même temps, un collège funéraire. Unis, comme les Gentiles, dans un même culte pendant leur vie, les membres de la corporation voulaient, comme eux aussi, dormir ensemble leur dernier sommeil. Toutes les corporations qui étaient assez riches avaient un columbarium collectif, où, quand le collège n’avait pas les moyens d’acheter une propriété funéraire, il assurait du moins à ses membres d’honorables funérailles aux frais de la caisse commune. (Durkheim 1893:18-9)

On a souvent reproché au christianisme son intolérance. Cependant, il réalisait à ce point de vue un progrès considérable sur les religions antérieures. La conscience religieuse des sociétés chrétiennes, même à l’époque où la foi est à son maximum, ne détermine de réaction pénale que quand on s’insurge contre elle par quelque action d’éclat, quand on la nie et qu’on l’attaque en face. Séparée de la vie temporelle beaucoup plus complètement qu’elle n’était même à Rome, elle ne peut plus s’imposer avec la même autorité et doit se renfermer davantage dans une attitude défensive. Elle ne réclame plus de répression pour des infractions de détail comme celles que nous rappelions tout à l’heure, mais seulement quand elle est menacée dans quelqu’un de ses principes fondamentaux ; et le nombre n’en est pas très grand, car la foi, en se spiritualisant, en devenant plus générale et plus abstraite, s’est, du même coup, simplifiée. Le sacrilège, dont le blasphème n’est qu’une variété, l’hérésie sous ses différentes formes sont désormais les seuls crimes religieux [Nota de rodapé 3: Du Boys, op. cit., VI, p. 62 et suiv. – Encore faut-il remarquer que la sévérité contre les crimes religieux a été très tardive. Au Xe siècle, le sacrilège est encore racheté moyennant une composition de 30 livres d’argent [de prata] (Du Boys, v, 231). C’est une ordonnance de 1226 qui, pour la première fois, sanctionne la peine de mort contre les hérétiques. On peut donc croire que le renforcement des peines contre ces crimes est un phénomène anormal, dû à des circonstances exceptionnelles, et que n’impliquait pas le développement normal du christianisme]. La liste continue donc à diminuer, témoignant ainsi que les sentiments forts et définis deviennent eux-mêmes [121] moins nombreux. Comment, d’ailleurs, peut-il en être autrement ? Tout le monde reconnaît que la religion chrétienne est la plus idéaliste qui ait jamais existé. C’est donc qu’elle est faite d’articles de foi très larges et très généraux beaucoup plus que de croyances particulières et de pratiques déterminées. Voilà comment il se fait que l’éveil de la libre pensée au sein du christianisme a été relativement précoce. Dès l’origine, des écoles différentes se fondent et même des sectes opposées. A peine les sociétés chrétiennes commencent-elles à s’organiser au moyen âge qu’apparaît la scolastique, premier effort méthodique de la libre réflexion, première source de dissidences. Les droits de la discussion sont reconnus en principe. Il n’est pas nécessaire de démontrer que le mouvement n’a fait depuis que s’accentuer. C’est ainsi que la criminalité religieuse a fini par sortir complètement ou presque complètement du droit pénal. (Durkheim 1893:120-1)

DURKHEIM, Émile. 2002[1893]. De la division du travail social. Livro 1. Chicoutimi: Les Classiques des Sciences Sociales.