Cobre, prata e mercúrio em Simondon (2005 [1958])
L’intérêt d’une représentation de la structure comme liée à la fréquence n’est pas seulement celui d’un réalisme plus grand, mais aussi celui d’une universalité beaucoup plus vaste, qui évite de créer des catégories arbitraires de champs électromagnétiques (ce qui aboutit à un substantialisme apparent assez paralysant). La continuité entre les différentes manifestations de champs électromagnétiques de fréquences variées est établie non seulement par la théorie, mais aussi par l’expérience scientifique et technique. Si, comme le fait Louis de Broglie dans Ondes, Corpuscules, Mécanique ondulatoire, à la planche 1 (entre la page 16 et la page 17), on inscrit en regard d’une échelle logarithmique des fréquences les différentes découvertes et expériences qui ont permis de mesurer une fréquence électromagnétique, on s’aperçoit que la continuité a été établie entièrement entre les six domaines considérés d’abord comme distincts : les ondes hertziennes, l’infra-rouge, le spectre visible, l’ultra-violet, les rayons X et les rayons y. Pendant que les techniciens étendaient vers les fréquences basses le domaine des ondes découvertes théoriquement par Maxwell et produites effectivement par Hertz en 1886 avec un oscillateur décimétrique, Righi, physicien italien de Bologne, établit l’existence d’ondes de 2,5 cm. Dans un ouvrage publié en 1897, il montre que ces ondes sont intermédiaires entre la lumière visible et les ondes hertziennes ; elles possèdent tous les caractères de la lumière visible. Le titre de cet ouvrage, Optique des oscillations électriques, est très important, car il montre un effort pour unifier deux domaines jusque là expérimentalement séparés, bien qu’ils aient été conceptuellement réunis dans la remarquable théorie électromagnétique de la lumière de Maxwell: l’optique et l’électricité. Dans la voie ouverte par Righi, Bose et Lebedew s’engagent au moyen de l’appareil construit en 1897 par Bose pour répéter les expériences de Hertz sur la réfraction, la diffraction et la polarisation des ondes électromagnétiques; ces deux chercheurs arrivent à produire des ondes électromagnétiques de 6 millimètres. En 1923, Nickols arrive à produire des ondes de 0,29 millimètre. Un an après, Slagolewa et Arkodeiwa atteignent 0,124 millimètre. Or, par des méthodes optiques, Rubens et Bayer, en 1913, avaient pu isoler et mesurer dans des radiations infrarouges une radiation de 0,343 millimètre de longueur d’onde. Dépassant la simple analogie des propriétés de propagation, les deux formes d’énergie jadis isolées comme deux genres ou tout au moins deux espèces se recouvraient partiellement en extension (de 0,343 à 0,124 millimètre de longueur d’onde) et s’identifiaient en compréhension, tant pour la genèse que pour l’étude de « propriétés », montrant la fragilité de la pensée qui procède par genre commun et différences spécifiques. Le genre commun et les différences spécifiques sont ici exactement au même niveau d’être: ils consistent l’un et l’autre en fréquences. L’extension et la compréhension se recouvrent également, car l’énoncé des limites de l’extension emploie les caractères mêmes de la définition par compréhension. La démarche intellectuelle que la découverte progressive de la continuité entre les ondes hertziennes et le spectre visible manifeste n’est ni inductive ni déductive: elle est transductive : en effet, la lumière visible et les ondes hertziennes ne sont pas deux espèces d’un genre commun qui serait celui des ondes électromagnétiques. Aucune différence spécifique ne peut être indiquée pour permettre de passer de la définition des ondes électromagnétiques à celle des ondes hertziennes ou de la lumière visible; il n ‘y a rien de plus dans la définition des ondes hertziennes ou de la lumière que dans celle des ondes électromagnétiques. L’extension et la compréhension ne varient pas en sens inverse, comme dans l’induction. Par ailleurs, on ne peut dire non plus que cette pensée procède, comme la déduction, par « transfert d’évidence» : les propriétés des radiations électromagnétiques lumineuses ne sont pas déduites à partir de celles des ondes électromagnétiques hertziennes. Elles sont constituées à partir de la mesure même qui permet d’établir une distinction en même temps qu’une continuité: celle de la fréquence. C’est parce que leur seule distinction est celle de la fréquence et de son inverse la longueur d’onde que ces deux réalités physiques ne sont ni identiques ni hétérogènes, mais contiguës: cette méthode (le transduction permet d’établir une topologie des êtres physiques qui n’étudie ni genres ni espèces. Le critère qui permet d’établir des limites pour chaque domaine permet aussi de définir ce qui, en langage inductif, deviendrait les sous-espèces, sans rajouter aucun caractère distinctif nouveau, et simplement par une précision donnée au caractère universel de la compréhension ; ainsi, dans l’exemple précédent, si l’on veut rendre compte des différences qui existent entre les ondes électromagnétiques dites centimétriques et les ondes électromagnétiques décamétriques, on aura recours à ce caractère qui permettra également de dire pourquoi le pouvoir séparateur d’un microscope optique est plus grand en lumière violette qu’en lumière rouge: on montrera que la réflexion, la réfraction, la diffraction d’une onde électromagnétique ont pour condition le rapport entre l’ordre de grandeur de la longueur d’onde et celui des éléments de la substance constituant le miroir, le dioptre ou le réseau. Pour la réflexion par exemple, la condition pour que ce phénomène se produise est que les irrégularités du miroir soient petites par rapport à la longueur d’onde électromagnétique à réfléchir. Le «poli optique» de l’argent ou du mercure est nécessaire pour réfléchir la lumière violette de courte longueur d’onde. La lumière rouge par contre est déjà convenablement réfléchie par une surface métallique plus grossièrement polie; les radiations infra-rouges peuvent être réfléchies par une plaque de cuivre légèrement oxydée; les ondes centimétriques du radar se réfléchissent sur une surface métallique non polie. Les ondes décimétriques se réfléchissent sur un grillage métallique à mailles fines. Les ondes métriques se réfléchissent sur un treillis de barres métalliques. Un treillis à vastes mailles, fait de câbles suspendus à des pylônes, ou même une rangée de pylônes suffit à la réflexion des ondes décamétriques ou hectométriques. De même, il faut la fine structure d’un réseau cristallin pour diffracter les rayons X, tandis qu’un réseau fait de lignes délicatement gravées à la main sur une plaque de métal suffit à assurer la diffraction de la lumière visible. Les ondes métriques de la télévision se diffractent sur les sommets crénelés des Sierras, réseau naturel à vastes mailles. Des propriétés plus complexes, comme le rapport entre la quantité d’énergie réfléchie et la quantité d’énergie réfractée pour chaque longueur d’onde rencontrant un obstacle semi-conducteur, comme la couche de Kennely-Heaviside, à structure complexe, peuvent être interprétés au moyen d’une semblable méthode, qui n’est ni inductive ni déductive. Le mot d’analogie semble avoir pris un sens péjoratif dans la pensée épistémologique. On devrait cependant ne point confondre le véritable raisonnement analogique avec la méthode toute sophistique qui consiste à inférer l’identité à partir des propriétés de deux êtres qui ont en commun un caractère quelconque. Autant la méthode de ressemblance peut être confuse et peu honnête, autant la véritable méthode analogique est rationnelle. L’analogie véritable selon la définition du Père de Solages est une identité de rapports et non un rapport d’identité. Le progrès transductif de la pensée consiste bien en effet à établir des identités de rapports. Ces identités de rapports ne s’appuient pas du tout sur des ressemblances, mais au contraire sur des différences, et elles ont pour but de les expliquer: elles tendent vers la différenciation logique, et en aucune manière vers l’assimilation ou l’identification; ainsi, les propriétés de la lumière paraissent très différentes de celles des ondes hertziennes, même dans un cas précis et limité comme celui de la réflexion sur un miroir; un grillage ne réfléchit pas la lumière et réfléchit des ondes hertziennes, alors qu’un petit miroir parfaitement poli réfléchit bien la lumière et pratiquement pas une onde hertzienne métrique ou décamétrique, à plus forte raison hectométrique. Rendre compte de ces ressemblances ou de ces différences, ce sera avoir recours à l’identité de rapports existant entre tous les phénomènes de réflexion; la quantité d’énergie est grande quand, sur le trajet de l’onde électromagnétique s’interpose un obstacle constitué par une substance dont les irrégularités sont petites par rapport à la longueur d’onde de l’énergie électromagnétique. (Simondon 2005 [1958]:104-7)
SIMONDON, Gilbert. 2005 [1958]. L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information. Grenoble: Éditions Jérôme Millon.