Cobre e tungstênio em Simondon (2008 [1958])

Ces deux fonctions sont synergiques parce que c’est après avoir subi toute la chute de potentiel du champ électrique que les électrons ont acquis le maximum d’énergie cinétique; c’est donc à la fois à ce moment et à cet endroit qu’il est possible d’en retirer la plus grande quantité d’énergie électromagnétique en les arrêtant brusquement. La nouvelle anode-anticathode joue enfin un rôle dans l’évacuation de la chaleur produite (en raison du mauvais rendement de la transformation d’énergie cinétique des électrons en énergie électromagnétique, environ 1%), et cette nouvelle fonction est remplie en parfaite concordance avec les deux précédentes: une dalle de métal difficilement fusible, comme du tungstène, est encastrée dans le barreau massif de cuivre scié en biseau qui forme l’anode-anticathode, au point d’impact du faisceau d’électrons; la chaleur développée sur cette dalle est conduite à l’extérieur du tube par le barreau de cuivre, développé extérieurement en ailettes de refroidissement.
II y a synergie des trois fonctions, car les caractéristiques électriques du barreau de cuivre bon conducteur de l’électricité vont de pair avec les caractéristiques thermiques de ce même barreau bon conducteur de la chaleur; par ailleurs, la section en biseau du barreau de cuivre convient également à la fonction de cible-obstacle (anticathode), à celle d’accélération des électrons (anode) et à celle d’évacuation de la chaleur produite. On peut dire, dans ces conditions, que le tube de Coolidge est un tube de Crookes à la fois simplifié et concrétise, dans lequel chaque structure remplit des fonctions plus nombreuses, mais synergiques. L’imperfection du tube de Crookes, son caractère abstrait et artisanal, nécessitant de fréquentes retouches dans le fonctionnement, provenaient de l’antagonisme des fonctions remplies par le gaz raréfié; c’est ce gaz qui est supprimé dans le tube de Coolidge. Sa structure floue correspond à l’ionisation est entièrement remplacée par la nouvelle caractéristique thermoélectronique de la cathode, parfaitement nette. (Simondon 2008 [1958]:33)

C’est donc essentiellement la découverte des synergies fonctionnelles qui caractérise le progrès dans le développement de l’objet technique. Il convient alors de se demander si cette découverte se fait d’un seul coup ou de manière continue. En tant que réorganisation des structures intervenant dans le fonctionnement, elle se fait de manière brusque. mais peut comporter plusieurs étapes successives; ainsi, le tube de Coolidge ne pouvait être conçu avant la découverte par Fleming de la production d’électrons par un métal chauffé; mais le tube de Coolidge à anode-anticathode statique n’est pas nécessairement la dernière version du tube producteur de rayons X ou de rayons Gamma. Il peut être amélioré et approprié à des usages plus particuliers. Par exemple, un perfectionnement important, permettant d’obtenir une source de rayons X plus proche du point géométrique idéal, a consisté à employer une anode en forme de plateau massif monté sur un axe, dans le tube: ce plateau peut être mis en mouvement par un champ magnétique qu’un inducteur placé à l’extérieur du tube crée, et par rapport auquel le plateau est un rotor comportant un induit; la région d’impact des électrons devient une ligne circulaire près du bord du plateau de cuivre, et offre donc des possibilités très vastes de dissipation thermique; toutefois, de manière statique et géométrique. Le lieu où l’impact se produit est fixe par rapport à la cathode et au tube : le faisceau de rayons X provient donc d’un foyer géométriquement fixe, bien que l’anticathode défile à grande vitesse en ce point fixe. Les tubes à anode tournante permettent d’accroître la puissance sans augmenter la dimension de la région d’impact, ou de réduire la dimension de la région d’impact sans diminuer la puissance; Or, Cette anode tournante remplit aussi parfaitement qu’une anode fixe les fonctions d’accélération et d’arrêt des électrons; elle remplit mieux la fonction d’évacuation de la chaleur, ce qui permet d’améliorer les caractéristiques optiques du tube pour une puissance déterminée.
Doit-on alors considérer l’invention de l’anode tournante comme apportant au tube de Coolidge une concrétisation structurale ? – Non, car elle a surtout pour rôle de diminuer un inconvénient qui n’a pu être converti en un aspect positif du fonctionnement d’ensemble. L’inconvénient du tube de Coolidge. l’aspect résiduel d’antagonisme qui subsiste dans son fonctionnement est son mauvais rendement dans la conversion de l’énergie cinétique en rayonnement électromagnétique; sans doute, ce mauvais rendement ne constitue pas un antagonisme direct entre les fonctions, mais il se convertit pratiquement en un antagonisme réel; si la température de fusion de Ia dalle en tungstène et du barreau de cuivre était infiniment élevée, on pourrait concentrer très finement un faisceau très puissant d’électrons très rapides; mais comme en fait on atteint assez rapidement la température de fusion du tungstène, on se trouve limité par ce mauvais rendement qui fait apparaître une grosse quantité de chaleur, et it faut se résoudre à sacrifier la finesse du faisceau ou la densité du flux d’électrons ou la vitesse des électrons, ce qui revient à sacrifier la ponctualité de la source de rayons X, la quantité d’énergie électromagnétique rayonnée ou la pénétration des rayons X obtenus. Si l’on pouvait découvrir un moyen pour augmenter le rendement de la transformation d’énergie qui s’opère sur la dalle de l’anticathode, on améliorerait toutes les caractéristiques du tube de Coolidge, en supprimant ou diminuant le plus important des antagonismes qui subsistent dans ce fonctionnement. (L’antagonisme qui consiste en ce que le faisceau ne peut être rigoureusement concentre parce que les électrons se repoussent mutuellement puisqu’ils sont affectés de charges électriques de même signe est beaucoup plus faible; on pourrait le compenser au moyen de dispositifs de concentration comparables à ceux des oscilloscopes cathodiques ou des lentilles électrostatiques ou des électromagnétiques des microscopes électroniques.) L’anode tournante permet de réduire les conséquences de l’antagonisme entre la finesse et la puissance, entre les caractéristiques optiques et les caractéristiques électroniques. (Simondon 2008 [1958]:37)

SIMONDON, Gilbert. 2008 [1958]. Du mode d’existence des objets techniques. Paris: Aubier.