Hidrogênio em Simondon (2005 [1958])

Peut-être cette antinomie paraîtrait-elle moins accentuée si l’on pouvait retenir le résultat des analyses précédentes afin de les appliquer à ce cas encore plus général. Nous n’avons plus ici, comme dans le cas du cristal, la distinction entre une région discontinue, structurée, périodique, et une région amorphe, continue, support de grandeurs scalaires. Mais nous avons encore, synthétisées dans le même être, portées par le même support, une grandeur structurée et une grandeur amorphe, pur potentiel. Le discontinu est dans le mode de relation, qui s’opère par sauts brusques, comme entre un milieu périodique et un milieu amorphe, ou entre deux milieux à structure périodique; la structure est ici la plus simple possible, elle est l’unicité de la particule. Une particule est particule non pas en tant quelle occupe spatialement telle place, mais en tant qu’elle n’échange que quantiquement son énergie avec d’autres supports d’énergie. La discontinuité est une modalité de la relation. Il est possible de saisir ici ce qu’on nomme deux « représentations complémentaires du réel », et qui sont peut-être non seulement complémentaires, mais réellement unes. Cette nécessité de réunir deux notions complémentaires vient peut-être de ce que ces deux aspects de l’être individué ont été séparés par le substantialisme, et que nous avons à faire un effort intellectuel pour les réunir, à cause d’une certaine habitude imaginative. Qu’est, pour une particule, le champ associé que nous sommes obligés de lui adjoindre pour rendre compte des phénomènes? C’est la possibilité, pour elle, d’être en relation structurale et énergétique avec d’autres particules, même si ces particules se comportent comme un continu. Quand une plaque d’un métal alcalin est éclairée par un faisceau lumineux, il y a relation entre les électrons libres contenus dans le métal et l’énergie lumineuse; ici, les électrons libres se comportent comme des êtres équivalents au continu en tant qu’ils se répartissent au hasard dans la plaque, tant qu’ils ne reçoivent pas une quantité d’énergie suffisante pour pouvoir sortir de la plaque ; cette énergie con-espond au potentiel de sortie, et varie avec l’espèce chimique du métal employé. Les électrons interviennent ici comme supports d’une grandeur continue, scalaire, ne correspondant pas à un champ polarisé. Ils sont comme les molécules d’un corps amorphe en état d’agitation thermique. Leur place, à supposer qu’ils fussent localisables, n’aurait pas d’importance. Il en va de même pour les particules de la source de lumière: leur position à l’instant où l’énergie lumineuse a été émise ne compte pas. On peut produire l’effet photoélectrique avec la lumière d’une étoile qui n’existe plus. Par contre, les électrons se comportent comme êtres structurés en tant qu’ils sont susceptibles de sortir de la plaque. À ce changement de leur relation avec les autres particules qui constituent le milieu métallique correspond une quantité d’énergie mesurable par un certain nombre de quanta. De même, les changements d’état de chaque particule constituant la source de lumière interviennent dans la relation sous forme de fréquence du photon. L’individualité des changements de structure qui ont eu lieu dans la source se conserve sous forme d’énergie du «photon» c’est-à-dire sous la forme de la capacité de l’énergie lumineuse à opérer un changement de structure exigeant une quantité déterminée d’énergie en un point précis. On sait en effet que le seuil de fréquence de l’effet photoélectrique correspond à la nécessité pour chaque électron de recevoir une quantité d’énergie au moins égale à son énergie de sortie. On est conduit à poser la notion de « photon» pour expliquer non seulement cette règle du seuil de fréquence, mais aussi le fait très important de la répartition ou plutôt de la disponibilité de l’énergie lumineuse en chacun des points de la plaque éclairée: il n’y a pas de seuil d’intensité : or, si l’électron se comporte comme particule en ce sens que chaque électron nécessite l’apport d’une quantité déterminée d’énergie pour sortir de la plaque, on pourrait penser qu’il se comportera comme particule aussi en ce sens qu’il recevra une quantité d’énergie lumineuse proportionnelle à l’ouverture de l’angle sous lequel il est vu de la source de lumière (selon la loi du flux). C’est pourtant ce que l’expérience dément; quand la quantité de lumière reçue par la plaque sur chaque unité de surface décroît, il devrait arriver un moment où la quantité de lumière serait trop faible pour que chaque électron reçoive une quantité de lumière équivalant à son énergie de sortie. Or, ce moment n’arrive pas; seul le nombre d’électrons extraits par unité de temps diminue proportionnellement à la quantité de lumière. Toute l’énergie reçue par la plaque de métal alcalin agit sur cette particule 50 000 fois plus petite que l’atome d’hydrogène. C’est par là qu’on est conduit à considérer que toute l’énergie véhiculée par l’onde lumineuse est concentrée en un point, comme s’il y avait un corpuscule de lumière. (Simondon 2005 [1958]:100-1)

SIMONDON, Gilbert. 2005 [1958]. L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information. Grenoble: Éditions Jérôme Millon.