Carbono em Simondon (2005 [1958])

Enfin, on doit distinguer du parasitisme asymétrique les formes symétriques d’association qui sont une symbiose, comme celle que l’on voit dans les Lichens, composés d’une Algue qui «parasite» un Champignon et d’un Champignon qui «parasite» une Algue. Dans ce cas, en effet, la qualité totale d’organisation des êtres ainsi constitués dépasse celle d’un seul individu; la régression morphologique de chacun des deux êtres est beaucoup moins grande que dans le cas du parasitisme pur, parce qu’une causalité réciproque relie les deux êtres selon une réaction positive; l’activité de chacun des êtres se traduit par une capacité plus grande d’activité pour le partenaire [L’Algue verte effectue la synthèse chlorophyllienne et fournit des aliments au Champignon en décomposant le gaz carbonique de l’air. Le Champignon retient l’humidité et fixe le Lichen sur le support; il fournit de l’eau à l’Algue verte.] ; au contraire, le parasitisme est fondé sur une réaction négative qui constitue une mutuelle inhibition, ou tout au moins une inhibition exercée par le parasite sur l’hôte (ainsi, dans le cas où un mâle parasité présente les caractères d’une femelle, cette analogie est due à l’influence inhibitrice exercée par le parasite sur son hôte; les caractères sexuels secondaires paraissent dus à un dimorphisme résultant d’une inhibition, chez la femelle, des caractères correspondants qui se développent chez le mâle seul; cette inhibition – par exemple celle qui entrave le développement des phanères – se manifeste dans le parasitisme [C’est le cas du Crabe mâle parasité par la Sacculine]. Dans l’association réciproque de symbiose, comme celle d’une Algue et d’un Champignon, cette double inhibition ne se manifeste pas; la causalité récurrente est ici positive, ce qui conduit à une augmentation des capacités de l’ensemble formé; les Lichens arrivent à pousser et à prospérer là où ni algue ni champignon ne poussent, avec une grande luxuriance, comme sur un bloc de ciment lisse, exposé à la gelée et au soleil ardent dans une atmosphère sèche, subissant entre l’hiver et l’été des écarts de température de l’ordre de 60° C, ainsi que de très considérables écarts de l’état hygrométrique de l’air[Cette association subsiste dans le mode de reproduction – dans ce que l’on peut nommer le stade strictement individué du Lichen: en effet les Lichens se reproduisent par les spores du Champignon dont le mycélium vient entourer les graines vertes de l’Algue. Une telle unité reproductrice, la sorédie, est l’équivalent d’une graine.]. Ce sont encore des Lichens luxuriants que l’on rencontre dans la toundra, où la neige recouvre le sol pendant plusieurs mois. On décrit aussi des associations de cette espèce entre le Pagure enfoncé dans une coquille et des Anémones de mer qui s’installent sur la coquille; les Anémones auraient une influence sur les proies, soient parce qu’elles les attirent par leurs vives couleurs, soit parce qu’elles les paralysent par leurs éléments urticants et facilitent ainsi la capture par le Pagure, qui est fort peu mobile quand il est dans une coquille. Par ailleurs, et inversement, les reliefs de la nourriture du Pagure sont consommés par les Anémones de mer; ce dernier détail est plus sûr que celui qui concerne l’utilité des Anémones pour le Pagure. Cependant, on doit noter que le Pagure a tendance à mettre sur la coquille dans laquelle il s’abrite des Anémones, et, plus généralement, tous les objets, vivants ou non, qu’il rencontre et qui ont une vive couleur; en captivité, ce Crabe saisit tous les tissus ou papiers de couleur qu’on lui offre et se les pose sur le dos; faut-il considérer ce réflexe comme finalisé? Il est assez difficile de le dire, cependant il semble que ce soit le Crabe qui constitue luimême l’association, peut-être par conduite de mimétisme (c’est ainsi que certains zoologistes interprètent le réflexe qui fait que ce Crabe se pose des objets de vive couleur sur le dos), mais on doit reconnaître dans ce cas que le mimétisme est très grossier, car sur un fond de sable gris ou noir le Pagure accepte de se recouvrir de rouge ou de jaune, ce qui le rend très visible; en fait, on peut supposer sans irrationalité que le Pagure constitue cette association, et que, une fois entrée dans ce cycle de causalité (quel que soit le type de réflexe ou de tropisme qui fait agir le Crabe), l’Anémone de mer se développe grâce aux conditions de vie plus riches qui lui sont offertes par la nourriture du Crabe; enfin, il faut noter qu’il n’y a pas là un véritable parasitisme; l’Anémone de mer ne dégénère pas, mais se développe au contraire remarquablement; elle se nourrit, en effet, non grâce à des suçoirs ou des ventouses qui aspireraient la substance de son hôte, mais de manière normale et habituelle; la proximité des pinces du Crabe et de ses palpes la met seulement dans un milieu nutritif plus riche en petits débris assimilables; mais elle reste un individu séparé, sans continuité physiologique avec le Crabe. Par ailleurs, le Crabe ne se sert pas des substances élaborées par l’Anémone de mer, qui est sur la coquille élue par le Crabe comme elle pourrait être sur toute autre coquille ou sur un rocher. Entre le Crabe et l’Anémone, il ya la coquille et l’eau, et c’est pour cela que nous avons dans ce cas une véritable société; chaque individu reste individu, mais modifie le milieu dans lequel vivent les deux individus; c’est par le milieu extérieur que s’établit la relation entre des individus formant une société, et par là il existe une grande différence du régime de la causalité et de l’échange d’information entre les cas de parasitisme et ceux d’association. Le régime de la causalité interindividuelle est tout différent. Nous devons remarquer également qu’une Algue et un Champignon associés sous forme de Lichen sont, en fait, l’un pour l’autre, des éléments du milieu extérieur et non du milieu intérieur; d’après la théorie de Schwendener, l’Algue assimile le carbone, grâce à sa chlorophylle, ce qui est profitable pour le Champignon, et le Champignon protège l’Algue contre la dessiccation au moyen de ses filaments qui l’abritent et lui permettent de vivre là où, seule, elle aurait certainement péri io. Cette relation de deux êtres qui sont l’un par rapport à l’autre un équivalent de milieu extérieur peut comporter différentes modalités topologiques, mais avec toujours le même rôle fonctionnel; le thalle se différencie des apothécies; dans certaines espèces, les filaments du Champignon peuvent être plus serrés dans la périphérie, constituant ce qu’on nomme 1’« écorce» du Lichen, alors que le centre est la « moelle », la région intermédiaire devenant celle qui contient les gonidies, cellules vertes d’Algues analogues à celles de la terre et des rochers; ce Lichen est dit hétéromère. Dans les Lichens homéomères, au contraire, tels que les Lichens gélatineux, la répartition des filaments de Champignon et des cellules de l’Algue est homogène. Enfin, on doit remarquer que cette association va jusqu’aux éléments reproducteurs, comportant les deux types de végétaux: les sorédies contiennent à la fois des cellules de l’Algue et des filaments du Champignon; ces fragments se détachent du Lichen et servent à sa multiplication; par contre, les fructifications semblent appartenir au Champignon seul: elles sont composées d’un hyménium comme chez les Champignons ascomycètes, dont les cellules sont les asques entremêlés d’autres cellules stériles, les paraphyses, et dans lesquelles se forment les spores. L’association constitue ici comme une seconde individualité qui se superpose à l’individualité des êtres qui s’associent, sans la détruire; il y a ici un système reproducteur de la société en tant que société, et un système reproducteur du Champignon en tant que Champignon; l’association ne détruit pas les individualités des individus qui la constituent; au contraire, la relation du type du parasitisme diminue l’individualité des êtres; celle de la placentation est intermédiaire; elle peut évoluer dans les deux sens, aussi bien dans celui de la société que dans celui du parasitisme; de plus, elle est éminemment évolutive, et, en ce sens, se transforme; l’association, comme le parasitisme, est statique; il importe de noter cet aspect aussi bien dans le cas des états stables que dans celui de la placentation, parasitisme homophysaire qui tend à devenir une société temporaire. Il paraît en ce sens possible de considérer toutes les formes de l’association comme des mixtes du parasitisme et de la société parfaite qui aboutit à la formation d’une véritable individualité sociale secondaire, composée comme celle qui se manifeste dans le groupement Algue Champignon; il n’est point d’association qui soit exempte d’un certain parasitisme et par conséquent d’une certaine régression diminuant l’individualité des êtres qui se groupent; mais, par ailleurs, le parasitisme pur est rare, étant donné qu’il tend à se détruire de lui-même par une sorte de nécrose interne qu’il développe dans le groupe où le parasitisme a lieu, faisant tomber à un niveau très bas l’organisation de ce groupe. Le groupe concret peut être considéré comme intermédiaire entre la société complète et le pur parasitisme, où le niveau d’organisation qui caractérise le groupe est la différence entre celui du parasité et celui du parasite. (Simondon 2005 [1958]:196-8)

SIMONDON, Gilbert. 2005 [1958]. L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information. Grenoble: Éditions Jérôme Millon.